Ortolan : l’État invité à la barre

Quasiment un tour de cadran pour faire le tour de la question. Dix heures d’audience, hier, au tribunal correctionnel de Mont-de-Marsan, pour trancher le cas de 11 chasseurs d’ortolans, âgés de 35 à 80 ans, pris la main dans la matole en septembre 2016. Comme lors des procès montois, dacquois et palois de l’an passé, sur le banc des prévenus, les mêmes cheveux gris, la même passion et la même invocation d’une tolérance de l’administration pour justifier la chasse de cette espèce protégée.

Pas de verbalisation sous 30 matoles, cinq appelants et 20 prises par campagne ? Étienne Guyot, ancien préfet des Landes de 2007 à 2009, cité à témoigner par les avocats de la défense, affirme n’avoir jamais donné d’instructions en ce sens. " Ma préoccupation a été de faire respecter la loi, tout en ayant en ligne de mire la nécessité de maintenir l’ordre public. " Il reconnaît toutefois avoir entendu parler de " quotas ", tout en précisant ne " jamais les avoir repris à son compte ". Gilbert Tarozzi, ancien collaborateur des préfets successifs, confirme : " Évidemment que l’on entendait cela. C’était l’information qui se propageait sur le terrain. "

Avant de préciser que le souci de la préfecture a toujours été la " stricte application de la loi ".Zèle contenuSur le territoire, les hommes de Francis Duprat étaient chargés d’y veiller. Le chef des services landais de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage pendant trente ans reconnaît, lui aussi, avoir entendu parler d’une forme de tolérance. "

Il aurait été incroyable que, travaillant dans le milieu, je ne connaisse pas les chiffres qui circulaient. Mais ils ne sont pas de mon fait et ne figuraient pas dans mes instructions. " Même si celles-ci laissaient à ses services une certaine marge de manœuvre. " Je sentais bien que dans les instructions que je recevais, il ne fallait pas trop appuyer. Il y avait un risque de troubles publics si les contrôles étaient trop zélés. "Tolérance ou pas, des procédures ont bien existé dans les années 2000. " Et même plusieurs par an. Quatre dossiers en 2008, huit dossiers en 2009, etc. ", liste Me François Ruffié.

L’avocat de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) dénonce " une forme de prosélytisme de certains politiciens ". Pour Me Ruffié, les chasseurs présents sur le banc des prévenus, pris sur le fait en 2016, ne pouvaient pas méconnaître l’interdiction de chasser après les procédures entamées à partir de 2015.La fin de l’ambiguïtéLe procureur estime lui aussi que, même si pendant longtemps, il y a eu " un langage pas très clair au niveau de l’État ", il ne s’est pas rien passé. Pour Olivier Janson, il n’a jamais existé de tolérance. Il se tourne vers l’ex-sénateur Jean-Louis Carrère, ardent défenseur des chasseurs, pour dénoncer plutôt " les petits arrangements entre amis, là où cette cause aurait dû être défendue sur le terrain du droit, pour obtenir une dérogation ". " À partir de 2015, tout ce système d’arrangements s’est effondré sous la pression des associations écologistes, après l’épisode d’Audon. "Le début d’un bras de fer, relevé par les chasseurs après leur assemblée générale en août 2016. Ce sera les manifestations devant la préfecture et la poursuite de la chasse. Coûte que coûte. "

Mais les faits sont têtus. En 2016, continuer à soutenir d’être persuadé de se trouver dans une parfaite légalité, c’est de la poésie. " Le procureur requiert donc " la loi et l’apaisement ". Des amendes de 1 000 à 2 000 euros, avec à chaque fois du sursis sur la moitié des sommes. Sans retrait des permis de chasse. Il lance aussi un message. " À partir de maintenant, il ne pourra plus être soutenu une quelconque ambiguïté. Aujourd’hui, c’est le chant du cygne de l’ortolan. À moins que le droit évolue. "La défense plaide l’absence de l’élément intentionnel. Et donc la relaxe. " Depuis des années, on leur dit : c’est interdit, mais chasse. Sans qu’il ne leur arrive jamais rien. Pouvaient-ils ignorer commettre une infraction ? Je dis oui ", répond Me Frédéric Dutin. "

Les jugements des procédures de 2015 n’ont été rendus qu’en décembre 2016, après la période de chasse. Tant que la justice n’a pas dit si l’on peut chasser ou pas, on soutient et on continue à tendre les matoles. "Pour l’avocat de la défense, il n’y a eu aucune instruction claire sur la fin de cette prétendue tolérance, avant une note du ministre Nicolas Hulot au préfet des Landes, en 2017. " Une fois cette certitude absolue établie, il n’y a pas eu de chasse cette année. On sait qu’il n’y a plus d’indulgence. " Et une éventuelle relaxe n’y changera rien. " Même si ça me fait mal de le dire, la chasse ne pourra pas reprendre. "En l’état, du moins. Me Maëlle Comte, second conseil des 11 chasseurs, plaide la coutume. " Une pratique collective, habituelle dans le temps et dont la croyance dans l’autorisation est répandue. " Une notion " source de droit ", qui pourrait aboutir, à terme, à une modification de la loi. " Ce sont les prémices d’une dérogation. "

Cela suffira-t-il pour relaxer les 11 prévenus ? Le tribunal s’est laissé jusqu’au 5 avril pour se prononcer." Aujourd’hui, c’est le chant  du cygne  de l’ortolan. À moins que le droit évolue " 

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