La rocambolesque histoire des sondes cardiaques Somedics
C’était une belle entreprise française, sise à Pessac, près de Bordeaux, depuis 2011. Florissante, appréciée par ses clients, Somedics avait tout pour devenir l’un des fleurons de l’industrie de pointe. Mais son secteur, la fabrication de sondes cardiaques destinées aux pacemakers, s’accommodait mal des écarts avec la réglementation.
Son patron Pascal Rain l’a appris à ses dépens devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. L’homme d’affaires comparaissait pour " mise sur le marché de dispositif médical non conforme ", " soustractions de sondes cardiaques " et " substitutions de sondes cardiaques par des sondes fictives ".Lorsqu’en 2007 et 2008, l’Agence nationale de la sécurité du médicament (l’ANSM, le gendarme du médicament) inspecte la société qui produisait alors à Issy-les-Moulineaux, les conclusions ne sont déjà pas fameuses : absence de données de sécurité, absence de traçabilité des microbiologiques, contrôles microbiologiques falsifiés…
En mai 2011, l’organisme certificateur met le holà et, à la suite d’un durcissement de la réglementation en 2010, retire à la société son agrément, ce qui lui interdit théoriquement de commercialiser ses sondes.Comme un malheur n’arrive jamais seul, cette même année, la banque Bred, partenaire historique de la société, plante Somedics et fait placer sous scellés 500 sondes qui avaient déjà été gagées pour couvrir un premier emprunt.Des sondes facticesIl en fallait plus pour décourager l’homme d’affaires, qui venait d’ouvrir un site à Pessac. L’entreprise va continuer à commercialiser les précieuses sondes. Et même à en produire près de 600 pendant plusieurs semaines malgré la perte de certification. Problème supplémentaire : le site de Pessac n’avait aucune homologation.
À l’audience, Pascal Rain assure que les sondes ont été produites dans les Hauts-de-Seine.Mais Somedics ne va pas s’en tenir là. Pour pouvoir maintenir son activité malgré l’interdiction de production, elle va finalement piocher en douce dans les stocks de sondes gagés et placés sous scellés afin de les commercialiser. C’est un salarié, ancien gendarme, qui va se charger d’escalader le bâtiment, de s’introduire par le plafond ou une fenêtre afin de puiser dans les stocks ! Les sondes étaient remplacées au fur à mesure par des sondes factices fabriquées par la responsable de production.En 2012, alertée, l’ANSM saisit la justice et procède à la " mise en quarantaine " des sondes diffusées dans les hôpitaux. Hormis bien sûr celles qui avaient déjà été installées sur les patients…" On venait avec du tricot "" C’est le cœur, vous produisez pas du mercurochrome, quand même ! ", s’exclame le président Denis Roucou. " Il n’y a eu aucune atteinte à la santé publique ", jure Pascal Rain. " Je serais plus prudent que vous. Il n’y a pas de traçabilité sur chacun des patients qui ont reçu ces sondes ", relève le président. L’ANSM, après s’être assuré que les produits avaient été stérilisés, n’a en effet pas estimé nécessaire de préconiser un suivi particulier des patients implantés.
Les sondes n’avaient d’ailleurs, selon l’agence, pas de défaut de fabrication.Au cours de l’instruction, des salariés n’ont pas caché le tour rocambolesque que prenait la société au fil des mois. " Je venais avec du tricot. Quand les banques passaient, on faisait semblant de travailler ", a ainsi raconté une salariée de Pessac." Une grande majorité des salariés savaient que la situation n’était pas conforme, qu’il n’y avait plus de certification et que les sites avaient perdu leur homologation ", relève la procureur Marianne Poinot avant de demander un an de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende à l’encontre de Pascal Rain et six mois avec sursis contre l’ancien gendarme. " On est passé outre toute une chaîne de réglementation pour coûte que coûte vendre ces sondes.
Vous êtes allé au-delà de l’entendement " poursuit la magistrate." Il assume ses responsabilités, mais il est un peu seul quand même, ici ", objecte l’avocat de Pascal Rain, Me Frédéric Dutin, pour qui son client aurait surtout fait les frais du lobbying de ses concurrents et d’un prétendu double jeu de son associé. " On va crever Somedics mais pendant ce temps d’autres rebondissent. Ceux qui sont ici ne sont que les lampistes dans un jeu qui les dépasse ", poursuit l’avocat. Délibéré le 8 janvier." C’est le cœur, vous ne produisez pas du mercu-rochrome, quand même ! " (Le président du tribunal)