L'impossible deuil

GUJAN-MESTRASIl y a trois ans, une octogénaire était tuée par un chauffard à Gujan-Mestras.Il n'a jamais été retrouvé. Sa famille dénonce l'indifférencequi a accompagné ce drameAu printemps 96, Marcelle Champeaux accompagne, comme à l'accoutumée, son gendre et sa fille sur le bassin d'Arcachon. A la belle saison, cette famille briviste émigre à Gujan-Mestras oú elle possède depuis bientôt trente ans une résidence secondaire allée des Glaïeuls. Cette villa toute simple est le point de rendez-vous des enfants, des petits-enfants, des cousins et des cousines. Chacun y a ses habitudes.Le matin, Marcelle Champeaux aime aller faire ses courses. Avant de partir, elle frappe parfois à la porte de l'une de ses voisines pour lui demander si elle n'a besoin de rien. Puis, elle se dirige à pied vers les commerces du quartier de La Hume. Ses 80 ans ne l'empêchent pas de marcher d'un pas alerte. Prudente, elle prend bien soin de cheminer sur le côté droit de la chaussée.Le 31 mai 96, peu après 10 h 30, alors qu'elle emprunte l'allée de la Pelouse, qui longe la voie ferrée, elle est fauchée par un véhicule survenant derrière elle. Le choc se produit dans une légére courbe à droite oú la visibilité est bonne et la route assez large. Distraction du conducteur ? Vitesse excessive dans une portion limitée à 50 kilomètres-heure ? L'auteur de l'accident ne s'expliquera jamais sur les raisons. Il prend la fuite sans porter secours à la vieille dame.L'ÉCHEC DE L'ENQUÊTEProjetée sur le sol et grièvement blessée aux jambes, l'octogénaire est encore consciente lorsque les premiers automobilistes s'arrêtent. Elle a le temps de décliner son identité et de dire qu'elle a été percutée par un camion blanc non bâché. Quelques minutes plus tard, elle est transportée par les pompiers à l'hôpital de La Teste ou elle décède peu après son admission.Les gendarmes gujanais en charge de l'enquête disposent de fort peu d'éléments. Personne n'a été le témoin direct du drame, aucun riverain n'a aperçu ce fameux camion blanc et il n'y a pas de traces de freinage sur le macadam. Passés au peigne fin, les abords immédiats du point d'impact sont avares d'indices. Les militaires qui cherchaient éventuellement une pièce de plastique issue d'un phare détérioré font chou blanc.Les vérifications entreprises auprès d'une dizaine de garagistes pour obtenir des renseignements sur la venue d'un véhicule endommagé, les visites effectuées dans plusieurs ports ostréicoles se révèlent vaines. Les camions ou fourgonnettes susceptibles de correspondre au signalement de celui qui est recherché ne présentent aucun stigmate suspect. Et l'appel à témoins lancé par voie de presse ne rencontre aucun écho.Quelques mois plus tard, la découverte d'un C 15 Citroën de couleur blanche immergé dans le lac de la Magdeleine, à Gujan-Mestras, laisse espérer à la famille Champeaux que la piste du chauffard n'est peut-être pas perdue. Las ! La carrosserie du véhicule tout comme les optiques avant sont indemnes. Et il est impossible d'identifier le propriétaire de ce fourgon dérobé par des malfrats. Les plaques d'immatriculation ont disparu, les numéros de moteur et de châssis ont été limés.LA SOUFFRANCED'UNE FAMILLEA l'évocation du nom de sa grand-mère, le regard de Geneviève Fourgnaud se voile. Agée de 41 ans, cette fonctionnaire du ministère de la justice prend sur elle pour ne pas pleurer. Mais à la différence de certains des membres de sa famille, elle a la force de trouver les mots pour dire ce deuil impossible. « Nous avons besoin de connaître le coupable, besoin de mettre une image sur notre malheur. Ne pas savoir est insupportable. »Après l'accident, elle avait déposé un bouquet de fleurs en bordure de la chaussée pour conjurer l'oubli. Quelques mois plus tard, son oncle et sa tante ont vendu la maison que le grand-père, artisan maçon en Corrèze, avait achetée trente ans plus tôt à force d'économies. En remettant les clés, les Champeaux ont tourné la page des jours heureux, fermé le livre des souvenirs d'enfance et des vacances à la mer.Il y a quelques semaines, Geneviève Fourgnaud est revenue, pour la dernière fois peut-être, « sans hâte et sans révolte », mais avec l'envie de découvrir quelque chose (1). « Est-ce justement l'abscence de signes qui en fut un ? Le non-aménagement des allées pour les piétons oblige encore la marche sur le bitume et toujours se manifeste le comportement irresponsable des automobilistes. »Démoralisée, cette femme d'une infinie douceur a poussé la porte d'un café proche de la gare de Gujan. Elle voulait parler à quelqu'un, le premier venu au comptoir, le premier inconnu à lui prêter une oreille. Elle n'a senti que de l'indifférence. Pire encore, une vague compréhension de l'attitude du chauffard. Comme si la peur d'être jugé justifiait sa disparition. « Les gens banalisent tout. Pourtant, quelqu'un a fui sans porter assistance. Celle qu'on ne refuse pas à un oiseau tombé du nid. »(1) Toute personne susceptible de fournir des renseignements à Geneviève Fourgnaud peut la contacter au 01.47.43.93.61.

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