Une institution « au bord de l'asphyxie »
C'est devenu une habitude du côté du tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan. À l'image du choix qui avait été effectué lors de l'audience solennelle de septembre dernier, il n'y avait ni bulles, ni petits fours en marge de la rentrée judiciaire d'hier. Il suffisait pour le comprendre d'écouter les discours successifs du président, Francis Bobille, et du procureur de la République, Jean-Philippe Récappé.Le régime de « rigueur » se conjuguait avec un accueil forcé dans une salle d'audience trop exiguë. « Comme le disait le grand philosophe anglais, Mick Jagger : "On ne peut pas toujours avoir ce que l'on veut », commentait avec sa verve habituelle le premier interlocuteur (1).La réalité du palais décrite hier ne prête effectivement à sortir ni les flûtes, ni l'argenterie. Alors que l'activité judiciaire n'a jamais été aussi importante (le nombre de nouvelles affaires pénales a dépassé pour la première fois la barre des 14 000 en 2011, NDLR), le tribunal de grande instance doit ainsi continuer à œuvrer en sous-effectif. À ce problème récurrent, s'ajoute la nécessité de s'adapter à un grand nombre de réformes. Et de composer avec la très forte activité engendrée par le centre pénitentiaire Pémégnan.« Comme j'avais déjà eu l'occasion de le dénoncer au printemps 2011, pour la première fois de l'histoire de la Ve République, les magistrats et fonctionnaires sont au bord de l'asphyxie », a ainsi redit le président Francis Bobille.« Le risque de voir des criminels remis en liberté est réel »Au sujet des réformes qui viennent « bousculer » l'organisation de l'institution, Jean-Philippe Récappé évoque « un empilement anarchique de lois trop souvent prises en urgence, en réponse à des événements médiatiques ». Francis Bobille parle, lui, de « lois qui ne cessent de tout changer, qui se superposent et qui deviennent illisibles ».Cela n'est pas sans conséquences. « Aujourd'hui, le juge n'est plus le spécialiste que nous connaissions car il doit se former en permanence. Du coup, c'est la procédure qui prend le pas sur le fond du droit », déplorait très vivement le président du TGI.L'inflation des procéduresCela pourrait encore passer si la justice montoise n'était pas confrontée dans le même temps à « une forte inflation des procédures ». La diversification du mode de traitement des affaires pénales et la priorité accordée aux dossiers les plus graves, notamment les affaires de mœurs, ne permettent malheureusement pas de tout absorber. Du coup, l'état du « stock » des affaires en attente d'être jugées est passé de 294 à la fin de l'année 2010 à 388 au 31 décembre 2011.L'ajout, in extremis, d'une quatrième session d'assises en 2012 est dans ce sens une bonne nouvelle. Mais cela ne permettra évidemment pas de traiter les 24 dossiers criminels en attente de jugement. Et le procureur de la République d'exprimer publiquement une crainte particulière au sujet de l'allongement des délais de traitement de ces dossiers criminels : « Le risque de voir remis en liberté des criminels est réel… »Mis bout à bout, ces éléments engendrent « une souffrance au travail » et « le sentiment d'être déconsidéré », selon les mots du procureur Jean-Philippe Récappé. « Pour autant, nous avons travaillé et j'ai la prétention de dire que nous avons même bien travaillé », tenait à bien préciser le président, Francis Bobille. La situation, aussi tendue soit-elle, n'a pas empêché les deux hommes d'accueillir comme il se devait le nouveau bâtonnier de l'Ordre des avocats de Mont-de-Marsan, Me Frédéric Dutin, successeur de Me Pierre Garcia.(1) En référence au tube des Rolling Stones, « You can't always get what you want ». Sans préjuger des références du président, la même phrase a été prononcée récemment dans la célèbre série télévisée américaine, « Dr House ».Il serait effectivement tentant, pour le tribunal de commerce, de rester sur une note positive en retenant que les procédures collectives concernant les petites entreprises ont diminué de plus de 10 % en 2011. « Mais on ne peut pas pour autant être optimiste », déplorait hier matin le président, Jean-Claude Courtès.La réalité de l'exercice 2011 veut en effet que l'on ajoute à ce chiffre les 55 procédures en cours. « Si l'on veut comparer ce qui est comparable, précise le président, nous arrivons à un total de 137 entreprises mises en liquidation judiciaire pour 2011, contre 108 en 2010, soit une augmentation de plus de 25 %. » « Un chiffre effectivement inquiétant », commentait le procureur de la République, Jean-Philippe Récappé.Et ce n'est pas tout. À ce chiffre, il convient ainsi d'ajouter un total de 20 sanctions personnelles infligées aux débiteurs fautifs contre 8 en 2010. Il s'agit d'interdictions de gérer, de faillites personnelles, ou de mise à la charge du dirigeant toutes les dettes de l'entreprise.« Cette augmentation très importante est aussi très significative car elle concerne des personnes qui s'affranchissent de toutes les règles », dénonçait Jean-Pierre Courtès. Dans le même temps, et cela est tout aussi regrettable, trop peu d'entreprises en difficultés prennent l'initiative d'effectuer les démarches qui permettent de se mettre sous la protection du tribunal.Peu d'espoirs d'amélioration« Notre inquiétude demeure lorsque l'on analyse les derniers bilans déposés au greffe », poursuivait le président Courtès. Ceux-ci ne laissent en effet que « peu d'espoirs d'amélioration pour 2012 », notamment pour les très petites entreprises.« Concernant le petit commerce, la difficulté de l'époque additionnée à la frilosité du secteur bancaire ne laisse rien présager de bon », prévoit encore le tribunal. « Pour autant, concernant les petites et moyennes entreprises (PME), je constate une réelle différence entre les propos très pessimistes tenus par les entrepreneurs et la réalité de leurs résultats », précisait Jean-Pierre Courtès.Selon la voix du tribunal de commerce, « tous les secteurs économiques ne sont pas en difficultés » et, « même si la période est difficile, le secteur bancaire n'a pas totalement déserté l'accompagnement traditionnel qu'il doit aux entreprises ».Et le président, Jean-Pierre Courtès, de conclure sur une note plus positive. « En 2011, 994 entreprises (sans compter le statut d'auto-entrepreneur, NDLR) ont été immatriculées au registre du commerce et des sociétés de notre tribunal, contre 983 en 2010. Il y a donc eu une légère augmentation. C'est un constat encourageant… »13 959Le nombre d'affaires pénales reçues à la mi-décembre. La barre historique des 14 000 était franchie au 31 décembre.1567Le nombre d'affaires traitées en comparution immédiate.983Le nombre d'alternatives aux poursuites.60Le nombre de dossiers confiés au pôle d'instruction.69Le nombre d'ouvertures d'informations judiciaires. 34 concernaient des affaires criminelles.388Le nombre d'affaires en attente de jugement.9,2En mois, le délai moyen des jugements. Il était de 7,1 mois en 2009.720Le nombre de décisions rendues par chaque juge en 2011, soit 120 de plus que la moyenne nationale.671Le nombre de détenus au 31 décembre. Ce public occupe près de 80 % du temps des magistrats du parquet.Le ton de l'audience de rentrée du conseil des prud'hommes a été rapidement fixé. « Je tiens à vous sensibiliser ce matin sur la menace croissante qui pèse sur la prud'homie », déclarait ainsi hier matin son ancienne présidente et nouvelle vice-présidente, Renée Follet. Celle qui s'apprêtait à passer le relais à Marie-Laure Duprat tenait ainsi à rappeler que « des atteintes graves sont portées aux spécificités de la juridiction prud'homale », notamment sur son fonctionnement paritaire et sur l'oralité des débats.Sans prétention d'exhaustivité, Renée Follet a ainsi redit que 61 conseils des prud'hommes avaient été supprimés depuis 2007. Elle a dénoncé « la prédétermination du temps d'activité du juge, sans prise en compte des spécificités de chaque dossier, aboutissant à une forfaitisation au mépris de la qualité des décisions et d'une égalité de traitement entre les différentes juridictions ». Elle n'a pas caché ses craintes quant à « un projet de réforme visant à remettre en cause l'élection des conseillers au suffrage universel ». Elle a souligné « la tentative d'introduire la médiation conventionnelle avortée grâce à l'opposition unanime des organisations syndicales ». Puis elle a relevé « une nouvelle atteinte au principe de la gratuité de l'accès à la justice prud'homale par l'obligation d'assortir tout enrôlement d'un timbre fiscal de 35 euros ».« Cet obstacle supplémentaire à la saisine des conseils est particulièrement inacceptable et inéquitable quand on sait que 99 % des demandeurs sont des salariés, le plus souvent privés de leur emploi et de leurs salaires », insistait-elle.Renée Follet a terminé son discours en appelant tous les acteurs du procès à « continuer à œuvrer pour faire diminuer de manière significative le nombre de renvois ». « Il en va de la crédibilité de notre juridiction... »