La porte entrouverte
COUR D'ASSISES. Les jurés des Landes ont reconnu Alain Chiquet coupable du meurtre de Yolande Lopez et l'ont condamné à dix ans de détentionIl a fallu moins de deux heures au jury et aux magistrats de la cour d'assises des Landes pour déclarer Alain Chiquet coupable d'homicide volontaire sur la personne de Yolande Lopez, le 14 mai 2000 à Morcenx. Pour ce coup de fusil mortel en pleine tête, l'accusé a été condamné à une peine de dix ans de prison. A noter qu'à l'heure actuelle, il a déjà effectué deux ans et demi de détention.La matinée oú se jouait l'avenir d'Alain Chiquet a commencé par la lecture du rapport de l'expert psychologue, Mme Lallemand. Celle-ci a soigneusement examiné l'accusé, il y a un peu plus d'un an, et a rendu des conclusions intéressantes : c'est un homme de contact facile mais anxieux qui souffre d'insomnie, très bon sur le plan professionnel, à tel point qu'il éprouve la nécessité d'une activité incessante. Quand il ne travaille pas, c'est la déprime, l'inactivité le renvoie à l'angoisse. Le problème d'alcool dont il souffre a sans doute une origine ancienne qui n'est pas encore établie. L'expert note que son attitude a immédiatement changé après le geste fatal. Il a d'ailleurs reconnu : « C'est le coup de feu qui m'a réveillé. » En fait, qui a réveillé son entendement.Ceci étant posé, Isabelle Montagne, avocat général, s'est levée pour requérir. Sans concession. Comme l'on dit, sans haine et sans crainte. D'emblée, elle a annoncé la couleur en rappelant une phrase d'une amie de vingt ans d'Alain Chiquet : « Il a été faible et lâche, il a tout gâché. » Mme Montagne a évoqué la mémoire de la victime, cette jeune femme de 34 ans « sans famille et qui justement comptait en créer une avec Alain Chiquet pour combler cette carence ». La grande absente de ce procès, jamais entendue, à peine entrevue sur une mauvaise photo. « Personne durant deux ans et demi d'instruction ne s'est manifesté pour demander réparation. Elle a été rayée du monde de vivants. Pour tout le monde, c'est simplement un cadavre pourri au fin fond d'un cimetière landais. »Le corps social attaqué. Mais la représentante du Ministère public a bien vite rappelé qu'elle n'était pas là pour pallier l'absence de partie civile, mais bien pour défendre la société. Et dans ce cas précis, elle estime que la société a été agressée. « S'attaquer à un être humain, c'est attaquer tout le corps social. C'est un acte intolérable. Avant, quand on avait tué, la société vous tuait. Aujourd'hui, la loi a évolué. Quand on prive quelqu'un de la liberté de vivre, on doit être privé de la liberté d'aller et venir. Le sens de la peine, c'est la réparation et la réinsertion. Ne nous trompons pas d'objectif, la réinsertion doit intervenir dans un deuxième temps et la sanction en amont. »Sur les faits, Mme Montagne a été intransigeante. Elle ne croit pas un instant à un quelconque hasard malheureux. « Chiquet affirme que c'est la malchance qui a tué cette pauvre femme que personne n'a pleurée. Non, Monsieur Chiquet, ce n'est pas la malchance, c'est vous qui avez tué et vous devez payer. » Sûre de son dossier, convaincue de l'intention homicide d'Alain Chiquet, Isabelle Montagne requiert sans état d'âme « de douze à quinze ans de prison. Dites-lui, Mesdame et Messieurs les jurés, qu'il n'avait pas le droit de tuer, que la vie n'a pas de prix ».La tâche de Me Frédéric Dutin, conseil d'Alain Chiquet, n'était pas facile. Pourtant, avec passion mais aussi rigueur et précision, l'avocat montois fit tout son possible pour démonter la terrible machine accusatrice mise en route par le Ministère public. « Moi non plus, je n'oublie pas la victime et d'ailleurs je ne plaide pas l'acquittement. Mais je ne veux pas que les jurés des Landes, qui ont déjà un dossier épineux à étudier, s'appuient sur des contre-vérités. Quand j'entends parler du comportement violent d'Alain Chiquet, je dis que c'est de la poudre aux yeux lancée par l'accusation pour essayer de majorer la sanction. Mme Montagne a déroulé un discours bien huilé; moi, je vais peu plaider et surtout m'appuyer sur le dossier. »Experts en cause. En foi de quoi, Me Dutin a mis le doigt sur ce qu'il estime être des incohérences. D'abord des témoignages contradictoires émanant « de gens capables de dire tout et son contraire ». Ensuite, l'indifférence du voisinage qui est venu dire à la barre qu'il entendait souvent les échos des disputes mais qui n'a jamais jugé utile d'appeler la police avant que l'irréparable ne se produise. Enfin, les experts ont été durement malmenés par le défenseur. Notamment l'expert en balistique, M. Seralta, qui à ses yeux n'a pas rempli sa mission jusqu'au bout en omettant d'examiner l'arme utilisée pour abattre Yolande Lopez, pas plus que les cartouches Brennek à balles pour gros gibier. Il a également fustigé les psychiatres « qui se contredisent les uns les autres sur l'atténuation éventuelle du discernement en cas d'absorption d'alcool ».L'alcool, justement, il a bien fallu en reparler puisque c'est à cause de lui que la vie d'Alain Chiquet est devenue un véritable chemin de croix. « Alain Chiquet n'a jamais eu de chance. Enfant, il a connu la pauvreté. Aujourd'hui, il ne dit rien, il ne peut rien dire, il est paralysé. La honte, il l'a connue à Morcenx quand on le traitait d'alcoolo. Comment aller plus bas ? A la limite, on lui reproche même d'avoir été bon, serviable, trop bon en somme. Un chien ça cherche l'amour, une caresse. Même cela, il ne l'a jamais eu. »Enfin, Me Dutin a produit des lettres du maire de Morcenx qui affirme être disposé à le reprendre à condition qu'il ait définitivement coupé les ponts avec l'alcool. Une autre lettre de la maison d'arrêt qui dit à quel point Chiquet est un détenu exemplaire, qui fait son possible pour aider l'encadrement à maintenir la prison dans un état décent. « Il est rare qu'un directeur de maison d'arrêt prenne la plume », a souligne Me Dutin.Reste l'avenir. Qui passe par le succès ou l'échec de la psychothérapie suivie par Chiquet. Hier, comme depuis le début du procès, il est resté prostré sur son banc, apparemment concentré sur ce que l'on disait de lui. Et puis, brusquement, en fin de matinée, pendant la plaidoirie de son avocat signalant la présence d'une de ses filles dans la salle, il s'est effondré, a pris un mouchoir dans sa poche et a enfin pleuré.Au final, dix ans de prison constituent pour lui une porte entrouverte sur un avenir peut-être meilleur. Avec le jeu des grâces et des remises de peine, il peut espérer une libération conditionnelle d'ici quelques années. Et s'il s'est débarrassé de son fardeau alcoolique, repartir, qui sait, du bon pied. Quoi qu'il arrive, le souvenir de Yolande Lopez le poursuivra toujours et actuellement, s'il n'arrive pas à trouver le sommeil, c'est à cause de ce coup de fusil du 14 mai 2000 qui a plongé au fond du gouffre ce couple peu gâté par l'existence.