"J'ignorais que c'était complètement interdit"
Les quatre hommes, âgés de 55 à 76 ans, domiciliés à Saint-Geours-de-Maremne, Soustons et Pomarez, étaient-ils conscients de commettre un délit, lorsqu’ils ont tendu, au fond de leur jardin, quelques matoles, repérées et dénoncées au mois de septembre 2016 par la Ligue de protection des oiseaux (LPO) ? C’est la question qui a secoué le tribunal correctionnel de Dax pendant près de trois heures, hier après-midi.Les quatre prévenus, le célèbre ganadero Jean-Charles Pussacq en tête (lequel avait oublié de retirer l’Opinel de sa poche avant de passer le portique de sécurité du tribunal), se sont en effet tous abrités derrière la supposée " tolérance ", soi-disant accordée depuis de nombreuses années aux chasseurs landais.Un argument rejeté aussi sec par le ministère public : " Il est regrettable que certaines personnalités politiques locales, comme un ancien sénateur ou l’ancien président du Conseil départemental, aient cru bon d’entretenir ces gens dans la croyance qu’ils pouvaient continuer ces chasses et qu’ils seraient couverts ", a souligné le procureur, Jean-Luc Puyo. " Un sénateur qui vient racoler des voix à l’assemblée générale des chasseurs n’est pas une autorité légitime ", a mordu de son côté Me Ruffier, représentant de la LPO, visant, sans le nommer, Jean-Louis Carrère.Petite cuisine landaisePourtant, la tolérance dont ont bénéficié les chasseurs à la matole ne s’est pas limitée, ces dernières années, à quelques bravades proférées entre le fromage et l’armagnac au banquet annuel des chasseurs. " Comment expliquez-vous qu’avant 2015, aucun dossier ne soit arrivé devant les tribunaux dacquois ou montois ?, s’est étonné Me Dutin, avocat de deux des prévenus. N’y avait-il pas de chasseurs ? Ni de contrôle ? " Bien sûr que si, mais c’était avant que la " petite cuisine " landaise ne remonte au nez de la commission européenne. " Comment expliquer à ces gens, à qui on a assuré pendant plusieurs années que tout était en règle, qu’ils doivent aujourd’hui se présenter devant le tribunal correctionnel ? ", a poursuivi Me Dutin. Car les prévenus, comme de nombreux autres chasseurs, affirment avoir été contrôlés à plusieurs reprises par les agents de l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage), voire par des gendarmes, qui ne les ont pas verbalisés tant qu’ils ne dépassaient pas le quota de " 30 matoles et cinq appelants ". D’où sort ce quota, qui n’apparaît dans aucun texte de loi ? Existait-il un accord tacite entre les représentants de l’État et les chasseurs, les premiers fermant les yeux tant que les seconds " n’abusaient " pas, pendant que les élus locaux jouaient les médiateurs ?ConsignesC’est en tout cas ce qu’a voulu démontrer Me Dutin, s’appuyant pour cela sur des propos de… la LPO. Comme ceux de M. Bougrain-Dubourg, qui déclarait, le 17 février 2016, que le préfet des Landes s’était engagé " à ne plus donner des consignes pour déroger à l’interdiction de chasser l’ortolan ". Ou encore ceux du directeur de la LPO, M. Verilhac, qui affirmait avoir des preuves écrites de consignes données par l’ancien préfet des Landes pour que les forces de l’ordre regardent ailleurs. Et pour enfoncer le clou, Me Dutin a cité le ministre de l’Écologie en personne, M. Hulot, qui dans un communiqué officiel du 8 août dernier, indiquait avoir " donné instruction au préfet des Landes […] de n’accorder, comme l’an dernier, aucune tolérance aux pratiquants ".Comment, dès lors qu’il existait bien une " tolérance ", établir l’élément intentionnel du délit, condition nécessaire pour condamner les quatre prévenus ? Le tribunal a jusqu’au 2 novembre, date du délibéré, pour répondre à cette question.