Deux dignités piétinées "pour rigoler"

Qui a mis les claques ? Qui a pris les photos ? Qui a baissé le pantalon ? Mardi, les cinq prévenus présentés au tribunal correctionnel de Mont-de-Marsan n’ont eu de cesse de se défausser. " C’est lui. " " J’étais déjà parti. " " Je ne l’ai pas fait tout seul. " " J’étais dans une autre pièce. " Difficile d’assumer des faits aussi violents et sordides.Des actes à même de les mener devant une cour d’assises (lire ci-dessous), commis à Mimizan, au début de l’année 2015. Les trois hommes et deux femmes (1) comparaissaient pour des humiliations et des coups portés, sur fond de beuveries, à deux personnes handicapées et sous curatelle renforcée. Jusqu’au viol, avec une bouteille de whisky. Le tout immortalisé en près de 75 photographies et cinq vidéos, partagé sur un réseau social et propagé au fil des " likes "." Certains dossiers, après lecture, laissent l’impression d’être enveloppés d’une certaine crasse dont on a du mal à se débarrasser, résume maître Martine Lafitte-Haza, dans l’intérêt des victimes. Ils ont été réduits au rôle d’objets par ceux qu’ils considéraient comme leurs amis. "Trop de souriresÀ la barre, tous reconnaissent la faiblesse des victimes. " On ne va pas se mentir. " Fournir une explication est plus délicat. Pourquoi avoir filmé une série de gifles assénées avec force en plein visage ? " On me l’a demandé, donc je l’ai fait. " Pourquoi avoir pris des photos d’une des victimes sur les toilettes ? " Ça m’amusait. " Ces coups, ces dessins obscènes sur la peau, ce corps inconscient enduit de mousse à raser, cette nourriture, sinon pire, étalée sur le visage ? " Tout le monde a rigolé. C’était marrant. "Un jeu bituré. Une fuite en avant. Jusqu’à ce cliché un peu flou, où trois mains manipulent une bouteille. Au moment des interpellations, l’un des prévenus se trouve chez une des victimes. Elle souffle un " merci " aux gendarmes. À la barre, les excuses formulées par les cinq prévenus paraissent bien plates." Il y a eu beaucoup trop de sourires dans cette audience. C’est dégueulasse ", tranche Anne Delahaye. Pour le substitut du procureur, sans la vulnérabilité des victimes, ce déchaînement n’aurait pas eu lieu. Elle requiert des peines de six mois de prison avec sursis à huit ans ferme, pour les deux hommes les plus impliqués dans l’agression sexuelle. Elle décrit le premier " sans scrupule ". Le rapport psychiatrique parle de " failles borderline ". Le second, grand gaillard, apparaît dans les réquisitions comme " plus bulldozer que malicieux ", avec toujours une batte de base-ball à portée de main.L’addition de fragilitésDans leurs plaidoiries, sans expliquer ni justifier, les avocats de la défense ont tenté d’éclairer l’incompréhensible. Pour l’une des prévenues, un passé d’adolescente frappée et violée par son ex-compagnon. Pour l’autre, la perte d’une sœur dans un accident à l’âge de 15 ans et une lente descente aux enfers." C’était une allumette, il manquait le carburant ", illustre maître Sandrine Dulhoste pour son client. La rencontre de ces cinq fragilités et la force illusoire du groupe ont suffi à allumer la mèche. " Ce n’est pas parce qu’on prononce des peines incroyables que tout le monde va se sentir mieux ", prévient maître Dulhoste.Les années de prison sèches requises par le ministère public, sans suivi ni obligations, font réagir. " Punir, c’est bien. Réparer, c’est mieux ", plaide maître Nathalie Brethoux.Après en avoir délibéré, le tribunal condamne deux des prévenus impliqués dans l’agression sexuelle à cinq ans de prison ferme assortis, pour l’un, d’un suivi sociojudiciaire de trois ans. Le troisième, au rôle plus flou, fera deux ans de prison. Leurs noms rejoignent le fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles. Les deux prévenues écopent respectivement de deux ans de prison dont un avec sursis et de six mois avec sursis. Tous sont condamnés solidairement à verser 2 000 et 6 000 euros aux deux victimes. Le prix de souffrances inutiles, pour commencer à rebâtir des dignités salies.(1) Pour préserver l’anonymat des victimes, nous avons choisi de taire  le nom des prévenus.Un viol changé en agression sexuelle. Des actes de torture et de barbarie en violences. De crimes à délits. Les faits retenus dans un premier temps par la justice ont été requalifiés à la demande des victimes pour entrer dans le cadre d’une audience correctionnelle. Elles s’épargnent ainsi un procès d’assises long et douloureux, où leur présence aurait été requise.Résultat, une audience correctionnelle taille XXL. Six heures de débats, une heure de réquisitions, six plaidoiries, des peines lourdes dans la balance. Et l’impression, tenace pour plusieurs avocats de la défense, d’avoir survolé le sujet. Au moment de plaider, maître Frédéric Dutin a consacré plusieurs minutes au " piège de la correctionnalisation ".Personnalités effleurées" Les éléments de personnalité sont écartés d’un revers de la main. Dans un procès d’assises étalé sur une semaine, on aurait entendu un psychiatre à la barre. On aurait décortiqué, on aurait compris. "Plusieurs avocats regrettent de devoir plaider un procès d’assises sans que la vie personnelle des prévenus ait été détaillée à l’audience. " Que fait mon client dans cette affaire ? Avec les autres prévenus ? Pour un seul fait ? Si on n’avait pas eu six heures mais une semaine, on aurait pu avoir des réponses ", regrette maître Thomas Gachie." Dans un procès d’assises, d’anciens employeurs de mon client seraient venus témoigner à la barre. Ils auraient pu parler de son comportement exemplaire ", appuie Sandrine Dulhoste dans sa plaidoirie. Avant de conclure sur les réquisitions : " Huit ans. Une peine d’assises sans la possibilité d’avoir été vraiment entendu. "Y. B. 

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