A-t-on pu vouloir la peau du bar Le N’importe Quoi ?
Confondre un individu pour un délit nécessite d’accumuler des preuves exploitables et suffisantes. Le droit est exigeant, les enquêteurs le savent. Et l’étude, ce mardi, par le tribunal correctionnel de Mont-de-Marsan, d’une affaire mettant en cause l’ancien gérant du bar-restaurant Le N’importe Quoi, a porté un sacré coup de canif au sérieux du commissariat de police montois…Les éléments de l’enquête transmise aux juges devaient permettre de condamner pénalement le dénommé Pierre Delrieux, gérant de la SAS Maréva, pour avoir employé en cuisine et facilité l’installation sur le territoire national d’un ressortissant étranger en situation irrégulière, début 2015. L’affaire lui a déjà valu une condamnation à dix jours de fermeture. Un volet administratif qui ne le touche pas vraiment, le patron de bar aujourd’hui à la tête de l’Aviator ayant entre-temps cédé son affaire. Mais un volet contesté, " pour le principe " (1).Un coup de main à un amiÀ la barre, le très grand et métissé Pierre Delrieux redonne sa version du soi-disant délit. Le dénommé Mushed Miah a été rencontré à Paris, à une époque où son épouse indienne et lui-même s’investissaient dans l’aide aux sans-papiers. Il venait du Bangladesh et vendait des fleurs dans les restaurants, dont celui du couple. Désormais dans les Landes, au N’importe Quoi, donc, il lui donnait " un coup de main ", en le logeant au-dessus du restaurant.Pourquoi avait-il alors été contrôlé par la Police aux frontières (Paf), dans les cuisines, " en tenue " ? L’appartement prêté à l’étage ne comprenant que chambre et salle d’eau, l’ami Mushed pouvait accéder à la cuisine, pour se faire à manger, répond-il. Rien d’interdit par la loi…À tort ou à raison, les hommes du commissariat de police n’y ont jamais cru. Mais ont-ils vraiment mis les moyens nécessaires pour instruire à charge, et à décharge ? L’ancien bâtonnier, Me Frédéric Dutin, pose la question. Et surtout donne sa réponse. Après avoir soulevé nombre de nullités liées à la langue hindi de la victime présumée (lire ci-dessous), le conseil de Pierre Delrieux s’applique à décortiquer l’enquête. Le PV de la Paf décrit bien M. Miah " en action " et " en tenue " de cuisine, mais aucun complément d’information ne contredit clairement la version de son client.Les silences des employés, effrayés de perdre leur emploi, n’apportent rien. Il est certes fait mention de quittances de loyer (100 euros par mois). " Mais le document peut très bien avoir été fait par un tiers " et " pensez-vous une seconde que mon client, sachant que M. Miah était en situation irrégulière, lui aurait signé ces documents ", soumet-il ?Plainte à la police des policesMe Dutin en arrive aux faits. L’origine de son récit trouve sa source à Paris, avec des informations précieuses sur le passé du restaurateur. À l’époque, l’ancien rugbyman gère, avec sa femme d’origine indienne, le Nouveau Carillon, un bar-resto populaire, situé rue des Abbesses, à Montmartre, dans le XVIIIe arrondissement. Les contrôles de police se répètent.L’un d’eux dégénère, sur fond de racisme. Pierre Delrieux va alors déposer plainte à l’Inspection générale des services, la police des polices. Les médias s’en emparent. Le policier incriminé est poursuivi, et Pierre Delrieux blanchi. Mais il jette l’éponge, " fatigué d’être traité comme un voyou, sans raison, sans explication ", confiait-il alors au journal " Le Parisien ".Les soucis rencontré rue Gambetta ne sont du coup, pour lui, qu’un désagréable bis repetita. Faut-il pour autant y voir un lien ? Son avocat en est persuadé. Mieux, il trouble en liant la rancœur du policier parisien et le rôle très actif dans cette procédure d’un adjoint de sécurité du commissariat, habitué du bar. " Non seulement la procédure est très incomplète, car il n’y a eu aucune recherche patrimoniale, aucune enquête de voisinage, mais il n’y a qu’un seul client interrogé. Et comme par hasard, celui-ci travaille au commissariat. Rien ne vient jamais l’indiquer. Pourquoi ? Il y a là, selon moi, un problème de loyauté ", lance-t-il, accusateur." Un plat qui se mange froid "Me Dutin parle d’un établissement " immédiatement dans l’œil du cyclone ". Tellement " sous pression " qu’il avait pris la peine, avec son client, d’aller rencontrer le commissaire, Alain Djian, responsable de la sécurité publique.Le volubile avocat poursuit en évoquant des accointances monto-montoises, entre ce témoin privilégié et un agent de sécurité bien connu à Mont-de-Marsan, en conflit ouvert avec son client. " A-t-on voulu la peau de Pierre Delrieux et du N’importe Quoi ? La vengeance, vous savez, est un plat qui parfois se mange très froid ", estimait-il en suggérant, une nouvelle fois, sans détour, des liens entre les antécédents parisiens et les faits montois.Le ministère public entend sa demande de relaxe pleine et entière. Il concède que le dossier n’est pas parfait, mais voit, lui, l’existence d’un travail dissimulé et réclame donc un total de 15 000 euros d’amende. Pas assez convaincus, les trois juges prononcent finalement la relaxe totale de Pierre Delrieux. Tout ça pour ça…(1) La décision de l’appel administratif sera rendue le 9 mars, à Pau.Dans ce dossier mal ficelé, conclu par une relaxe totale du patron de la SARL Maréva, Pierre Delrieux, plusieurs pièces ont été frappées de nullité. L’ancien bâtonnier Frédéric Dutin a ainsi pointé, à juste titre, des failles procédurales liées à la langue du ressortissant bengali. Dans la plupart des procès-verbaux, ce dernier est en effet interrogé en anglais par les enquêteurs, sans recours à un interprète. D’autres pièces font bien mention d’un traducteur, ou plutôt d’une traductrice. Celle-ci n’est intervenue que par téléphone, mais surtout elle maîtrisait le bengali " ourdou " et non le bengali " hindi ", soit la langue natale de l’" ami " surpris dans la cuisine du restaurant. " En anglais, en hindi ou en ourdou ? Personnellement, je m’y perds. En droit, de fait, l’intégralité de ces pièces est entachée d’un vice ", opposait-il. Et le même d’en remettre une couche sur l’intégrité du commissariat : " Mon client va dire très vite qu’il y a un problème de traduction, mais les enquêteurs, de manière perfide, indiquent que ça lui a été soufflé par son avocat. Et alors ? "