Une partie de poker

Rarement un procès d'assises aura autant ressemblé à une partie de poker. Le rapprochement avait d'ailleurs été fait jeudi soir par l'avocat général, Céline Courtois, au sujet des avocats « joueurs » de la défense qui contestaient beaucoup d'éléments de procédure. « J'ai le sentiment qu'on vous a pris pour des gens naïfs », lançait ainsi aux jurés celle qui est aussi substitut du procureur à Mont-de-Marsan…Après quatre jours de débats intenses et passionnés où il est vrai que tous les ingrédients du jeu de bluff étaient réunis (donne complexe, nombreuses inconnues, retournements de situations, stress, etc.), le ton était donné. Alors, oui, on a beaucoup tourné autour du pot. Mais quelques coups portés par la défense à la qualité de l'instruction de ce dossier criminel, et plus encore à sa légalité, avaient retenu l'attention de la foule et suscité de vives interrogations. Lors de ses réquisitions, Céline Courtois avait donc voulu ramener un peu de « sérénité » aux débats. Les conseils des parties civiles venaient d'abattre leurs cartes en insistant évidemment sur les traumatismes des victimes (1). Et la voix de la société tenait à reposer les règles du jeu avant que la défense sorte ses atouts.L'avocat général « aurait aussi aimé qu'il y ait des choses mieux vérifiées dans cette enquête ». Mais avec un trio d'avocats de la défense aussi expérimentés que le brelan d'as Dutin, Sagardoytho et Novion, elle savait aussi que les jurés devraient avoir de la suite dans les idées et bien comprendre que « ce n'est pas celui qui parle le plus fort ou le dernier qui doit retenir l'attention ».Elle avait vu clair dans leur jeu. Ses « tas de fils qui forment des liens assez importants pour démontrer la culpabilité des trois accusés » allaient être méthodiquement démêlés par les trois défenseurs d'expérience. Ses réquisitions à sept, huit et dix années de prison ferme étaient pour deux d'entre eux « totalement disproportionnées ». Et le bâtonnier de Mont-de-Marsan, Me Frédéric Dutin, allait frapper encore plus fort en plaidant l'acquittement pur et simple de son client, Johan Adikti.Deux condamnés, un acquittéIl avait d'entrée annoncé la couleur. « Pour le braquage du Lidl vous n'avez rien et pour celui de Montmartin (50) l'accusation n'a pas non plus réussi à rapporter la moindre preuve… » Après avoir dit tout le mal qu'il pensait du réquisitoire de la veille - « magnifique sur la forme, mais choquant à notre égard et sans fond » -, Me Dutin a fustigé toute hypothèse de poker menteur. Dans une mise à nu plus proche du strip-poker, le bâtonnier a dénoncé avec force une « théorie des dominos », sorte de « vaste montage judiciaire fondé sur des éléments non corroborés ». Au nom du même « honneur de la défense », Me Thierry Sagardoytho a ensuite demandé aux jurés d'être « juste », « de voir les erreurs judiciaires pour ne pas mettre un pied dans un engrenage dangereux basé sur de la spéculation intellectuelle ». Après le poker et les dominos, ce procès assis sur « une instruction qui ne mérite même pas le jeu du Cluedo » ressemblait, selon lui, à « un château de cartes qui s'effondre ».Me Alexandre Novion avait la parole en dernier. Jamais le jeu n'avait été aussi grave. L'homme de droit a déploré certaines « démarches déloyales, graves et illégales » des enquêteurs de la Manche. Des méthodes qui justifieraient, selon lui, que l'enquête soit « disqualifiée ». Bref, comme ses confrères, Me Novion a estimé que « trop d'éléments maculent le soupçon » et il a plaidé pour « une approche humaniste de la justice qui sauve ».La partie était finie et il fallait désormais déméler le vrai du faux, le plausible du sûr. L'exercice dura plus de cinq heures. Au bout du compte : Petrus Diril et Rizwan Khan ont chacun écopé de sept ans de prison et le seul Montois de la bande, Johan Adikti, a été acquitté. Nous en reparlerons dans notre édition de lundi.(1) Une belle plaidoirie avait notamment été signée par Me Tristam Heliot, un jeune Bordelais venu représenter les intérêts des employés du Lidl de Mont-de-Marsan pour le compte de Me Éric Grosselle. C'était sa première expérience aux assises. 

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